Ces quatre raisons qui freinent l'Europe spatiale



Tiraillements politiques, budgets contraints et lanceurs absents, l'Europe du spatial est confronté à une situation inédite, qui va la contraindre à se réinventer.


L'Europe du spatial souffre plus que jamais de la comparaison avec le dynamisme américain en la matière. Privée de lanceurs, elle ne semble par ailleurs plus en mesure de parler d'une seule voix. Quatre grands écueils se détachent.

1. Des budgets publics très éloignés de ceux de la Nasa

Les fonds publics européens consacrés au spatial sont - et resteront - sans commune mesure avec ce qui est pratiqué aux Etats-Unis. En novembre dernier, les Etats membres de l'Agence spatiale européenne (ESA) se sont accordés sur un budget de 16,9 milliards d'euros pour financer les programmes européens entre 2023 et 2025, dont 3,5 milliards pour l'Allemagne, 3,2 pour la France et 3,1 pour l'Italie.
Ce montant sur trois ans ne s'approche même pas du budget annuel de la Nasa, qui s'est vu attribuer 25,4 milliards de dollars pour la seule année 2023. Grâce à ces fonds, l'agence spatiale américaine signe avec les industriels américains des contrats bien supérieurs aux prix du marché. SpaceX a notamment largement profité de cette manne publique pour développer son offre de lanceurs réutilisables.

2. Le retour géographique, pomme de discorde

C'est l'un des principes fondateurs de la coopération spatiale européenne. Le retour géographique prévoit que chaque Etat membre se voit attribuer des contrats industriels pour un montant équivalent à celui qu'il consent pour le budget de l'ESA. Une mesure conçue pour développer l'industrie spatiale européenne, en permettant à tous, y compris les plus petits, de développer leur propre industrie en acquérant de nouvelles compétences.
Les grands industriels - Français en tête - y voient désormais une entrave à leur rentabilité et leur compétitivité face à une concurrence américaine débridée. Ils critiquent notamment le fait que les contrats de sous-traitance européens ne soient pas nécessairement attribués aux acteurs les plus compétitifs ni les plus efficients, avec pour conséquence des coûts de production plus élevés. Ils considèrent par ailleurs que le risque industriel est inégalement partagé, à leur détriment.

3. Une crise des lanceurs embarrassante

Trois lanceurs, puis deux et bientôt… zéro. Le Vieux Continent se retrouve dans une situation inédite. Il a d'abord perdu les Soyouz russes, retirés par Moscou en représailles des sanctions internationales décidées après son invasion de l'Ukraine. S'y sont ajoutés les retards d'Ariane 6, victime de la pandémie de Covid-19 et des lourdeurs politiques entre Etats membres de l'ESA, et l'échec de Vega C, nouvelle version du lanceur léger italien.
Les deux fusées ne seront désormais disponibles, au mieux, qu'à la fin de cette année - et, plus vraisemblablement, au premier semestre 2024. Dans l'intervalle, il ne reste à l'Europe que deux Ariane 5 et deux Vega à lancer.

4. Des tiraillements politiques pour le futur

Face à la concurrence américaine et à l'émergence, au sein du secteur, d'un grand nombre de start-up, deux logiques s'opposent pour l'avenir du spatial européen.
D'un côté, celle d'une Europe qui resterait unitaire avec une famille de lanceurs sélectionnant le meilleur de chaque catégorie. Un modèle soutenu par les industriels français. De l'autre, une concurrence plus libre à tous les échelons, à commencer par celui des lanceurs légers. Une vision portée par l'Allemagne. Entre les deux, l'Italie cherche à s'émanciper en investissant massivement dans son industrie spatiale.
L'année 2023 doit être celle de la remise à plat de la politique des lanceurs communautaires entre Paris, Berlin et Rome. Avec une certitude : le modèle actuel a vécu.


Source : LES ECHOS