Retour sur la lune : vers une amorce d'une économie lunaire



Les Européens sont montés à bord de la mission américaine Artemis, qui doit ramener les Hommes sur la Lune. Lors d'une table ronde "Objectif Lune : quels sont les enjeux de ce retour ?", qui s'est tenue dans le cadre du Paris Air Forum organisée par La Tribune, Elodie Viau, directrice à l’ESA en charge du programme Moon Light, Massimo Claudio Comparini, PDG de Thales Alenia Space Italia, Franck Poirrier, PDG de Sodern et Yohann Ballot, responsable du développement commercial d’Erems, ont annoncé leurs ambitions à travers la création d'une économie lunaire.


Le lanceur géant SLS vient d'être de nouveau transféré sur son pas de tir en Floride pour d'ultimes tests avant son premier vol cet été et l'envoi d'une capsule Orion vers la Lune. Le programme Artemis, qui doit ramener des astronautes à la surface de notre satellite naturel, est en bonne voie. Cette fois-ci, ce ne sera plus une courte visite sous le seul pavillon américain, comme avec Apollo, mais une implantation durable, en coopération avec les alliés traditionnels de la NASA. Pour l'Europe, cela représente donc un nouveau marché, avec de nouvelles niches stratégiques à occuper dans la logistique de transport, les télécommunications, l'hébergement des astronautes, la navigation et même dans tous les sous-systèmes électroniques adaptés à cet environnement particulièrement hostile.

Vers une économie lunaire

Le vieux continent dispose déjà de champions dans ces domaines spécifiques qui vont devoir jouer leurs cartes pour s'imposer. Thales Alenia Space est déjà bien placée, puisque tous les modules pressurisés de la future station Gateway sont déjà en cours de développement et de fabrication dans son usine de Turin. « Nous allons fournir un écosystème pour que les astronautes puissent vivre, travailler et se reposer dans un environnement difficile. C'est un peu plus qu'une série de conteneurs pressurisés », assure Massimo Claudio Comparini, directeur général adjoint de Thales Alenia Space. Avec l'apparition de stations orbitales privées autour de la Terre, il voit un mouvement similaire apparaître autour et à la surface de la Lune dès que les astronautes y retourneront. Une économie lunaire apparaîtra rapidement, même si dans un premier temps, elle sera essentiellement financée par des clients gouvernementaux.

L'agence spatiale européenne, déjà responsable de deux des modules de la Gateway, s'est également penchée sur les besoins de télécommunications et de navigation des missions dans le milieu martien et propose une constellation dédiée, baptisée Moonlight, autour de la Lune, sur la base d'un partenariat public-privé. « Si les orbiteurs et les atterrisseurs lunaires n'ont plus besoin d'emporter l'ensemble des systèmes nécessaires à leur navigation loin de la Terre et à leurs liaisons avec la Terre, il sera possible d'optimiser leur taille », explique Élodie Viau, directeur des télécommunications et des applications intégrées à l'Agence spatiale européenne (ESA). Au prix du kilogramme à envoyer vers la Lune, les économies réalisées seront rapidement substantielles. « Il y a 250 missions en projet, qui pourraient en bénéficier, et elles représentent un investissement de plus 1,5 milliard de dollars », annonce Elodie Viau, qui y voit l'amorce d'une économie lunaire.

Développer des systèmes durables

Chez Sodern, leader mondial dans le domaine des systèmes de navigation et notamment des viseurs d'étoiles, on s'intéresse au marché des opérations de proximité : rendez-vous, vols en formation ou amarrages, qui nécessiteront des capteurs pour lesquels l'équipementier français a déjà démontré ses compétences avec le programme ATV au cours duquel les cargos européens de 20 tonnes avaient réalisé des amarrages si doux qu'ils étaient à la limite du détectable, et avec une précision inférieure au centimètre. Sodern réalisera également la caméra chargée de la récupération des échantillons martiens par la sonde ERO autour de Mars.

Pour Franck Poirrier, directeur général de Sodern et représentant des équipementiers spatiaux au Cospace, la logistique lunaire impose de penser les programmes autrement : «Jusqu'ici, à l'exception de la Station spatiale internationale, nous avons toujours travaillé sur du consommable. Loin de la Terre, il va nous falloir développer des systèmes plus durables ». Cela impliquera plus de résilience, de robustesse et de simplicité, ainsi qu'une certaine généricité dans les produits. Ce qui sera valable autour de la Lune le sera encore plus autour de Mars mais pourra aussi avoir des « retombées » sur orbite basse, notamment avec le dépannage et les services sur orbite.

L'expérience acquise par les sous-traitants européens, comme Erems, fournisseur d'électronique sur de nombreuses missions scientifiques et habitées depuis quatre décennies, sera clé, comme le rappelle Yohann Ballot, directeur du développement commercial de l'équipementier toulousain. « L'environnement n'est pas pire autour de la Lune qu'autour de la Terre, où cela peut déjà être très agressif », souligne-t-il, la principale difficulté est la distance, qui rend toute intervention plus difficile, d'où l'importance d'une fiabilité à toute épreuve.


Source : LA TRIBUNE