Amazon embarque la fusée Ariane à la poursuite de SpaceX



Le géant de Seattle signe des accords avec ULA, Arianespace et Blue Origin pour déployer en cinq ans la majorité de ses 3.236 satellites prévus. Comme le projet Starlink d'Elon Musk, le projet Kuiper de Jeff Bezos vise à fournir un Internet haut débit, notamment dans les zones mal couvertes.

Jeff Bezos passe la vitesse supérieure dans l'Internet spatial. Amazon a annoncé mardi avoir signé des accords avec trois opérateurs de fusées pour son projet Kuiper, destiné à mettre en orbite basse (à 550 kilomètres de la Terre) 3.236 satellites et faciliter ainsi l'accès en tout point du monde à un Internet haut débit.

Les accords prévoient jusqu'à 83 lancements sur une période de cinq ans, qui permettront de sécuriser l'accès à l'espace « pour la majorité de sa constellation ». « Une fois déployé, le système Kuiper aura la capacité de desservir des dizaines de millions de foyers individuels, d'entreprises et de clients institutionnels dans des régions dépourvues de haut débit fiable », prévoit Amazon.

Rattraper SpaceX

Les accords sont signés avec l'américain United Launch Alliance (ULA), l'européen Arianespace et Blue Origin, l'activité spatiale rattachée en propre au fondateur d'Amazon, Jeff Bezos. Les satellites de Kuiper monteront donc à bord des principales fusées américaines (à l'exception de celles de SpaceX, celles du rival Elon Musk), et à bord de la nouvelle fusée européenne Ariane 6.

« La sécurisation de la capacité de lancement auprès de plusieurs fournisseurs a été un élément clé de notre stratégie dès le premier jour », commente Rajeev Badyal, vice-président technologie pour le projet Kuiper chez Amazon. Le recours à plusieurs fournisseurs est essentiel pour espérer rattraper SpaceX, dont la fusée Falcon 9 a commencé à envoyer les satellites du projet de constellation Starlink il y a près de trois ans .

Il est aussi nécessaire pour respecter les demandes du régulateur (la Federal Communications Commission), qui a autorisé le déploiement de Kuiper en demandant que la moitié des satellites soit opérationnels d'ici mi-2026. Dans ce décor, Amazon fait le pari plus ou moins osé de s'appuyer sur trois lanceurs qui n'ont pas encore volé.

18 lancements pour Arianespace

Le montant des accords n'a pas été divulgué, mais l'investissement dépasserait les 10 milliards de dollars, vu les prix pratiqués pour de tels lancements et le coût des satellites.

Dans le détail, Amazon commande 38 lancements à la fusée Vulcan Centaur de ULA, filiale de Boeing et de Lockheed Martin, et 18 lancements à Arianespace. Il prévoit en parallèle de confier douze opérations au futur lanceur de Blue Origin, New Glenn, avec une option pour 15 lancements supplémentaires. Cette commande s'ajoute aux neuf lancements déjà réservés par le projet Kuiper à ULA sur sa fusée Atlas V.

« Ce contrat, le plus important que nous ayons jamais signé, est un grand moment dans l'histoire d'Arianespace », a salué Stéphane Israël, son président exécutif. Pour Ariane 6, cet accord est une véritable victoire commerciale. La valeur du contrat n'a pas été rendue publique mais elle est supérieure à celle du précédent méga contrat conclu avec la constellation OneWeb (à bord de 21 fusées Soyouz commercialisées par Arianespace) et qui selon les estimations dépassait 1,2 milliard de dollars.

Avec ses 6 vols par an pendant trois ans pour le compte d'Amazon, la fusée européenne se met en bonne position pour atteindre son objectif de onze vols par an au total, ce qui est censé lui permettre d'être rentable.

Pour rappel, des négociations ardues entre les pays membres de la fusée - notamment entre la France et l'Allemagne -, ont eu lieu au cours des deux années passées pour garantir au moins 7 lancements par an à Ariane 6, dont 4 lancements de satellites institutionnels européens, de peur que la nouvelle fusée européenne n'ait pas assez d'activité. « Je vous avais annoncé qu'on entrait dans l'ère du Big Space , dans une interview aux « Echos », nous y sommes », commente Stéphane Israël. « Je vous parie qu'on pourra à terme aller jusqu'à 15 lancements par an ».

Les accords ont été négociés dans le secret. Jeff Bezos, qui a quitté la direction opérationnelle de son groupe l'an dernier pour mettre un coup d'accélérateur sur ses projets spatiaux, aime ménager ses effets d'annonce , comme il l'avait fait l'été dernier pour son premier voyage dans l'espace , concurrent de Richard Branson et Virgin Galactic.

« Encore beaucoup de travail »

Pour se démarquer du projet de Starlink, qui compte déjà plus de 2.000 satellites déployés , Kuiper défend l'expertise d'Amazon dans ses métiers clés, de la logistique jusqu'à l'infrastructure d'AWS, sa filiale de « cloud », en passant par sa production de terminaux pour les particuliers comme l'enceinte Echo ou la tablette Kindle. Avec plusieurs projets d'Internet haut débit par satellite en concurrence (Starlink et Kuiper, mais aussi OneWeb ), le prix du service final sera un déterminant clé du succès.

Le calendrier des premiers lancements de Kuiper reste à préciser. Deux premiers prototypes seront envoyés cette année dans l'espace, et le déploiement devrait démarrer doucement en 2023 pour prendre son envol à partir de 2024, 2025. Amazon souhaite un service simple, qui puisse être envoyé par colis chez chaque utilisateur avec un kit d'emploi.

Le plus difficile est de développer une antenne fiable et maniable et Amazon semble avoir trouvé la solution avec une nouvelle technologie pour réaliser une antenne miniaturisée de quelque 30 centimètres. Plus de 1.000 personnes travaillent sur le projet depuis plusieurs années.

« Nous avons encore beaucoup de travail à accomplir », note dans le communiqué Dave Limp, vice-président senior d'Amazon Devices & Services. Les lanceurs ne sont de fait pas encore tous prêts. La date du premier lancement d'une fusée New Glenn n'est pas précisée. Quant au premier lancement d'Ariane 6, il est prévu, selon le communiqué, à la fin de cette année. Certains évoquent toutefois un glissement vers 2023, notamment en raison des délais imposés par les procédures.


Source : LES ECHOS