ArianeGroup : une vision pour l’Europe



A l’occasion de la présentation de ses voeux à la presse le 24 janvier, André-Hubert Roussel, le président exécutif d’ArianeGroup, a clairement soutenu les projets de vols habités en Europe et de lanceurs entièrement réutilisables, dans une grande ambition européenne.

C’était le dernier rendez-vous pour la presse organisé au 28e étage de la tour Cristal, dans le quartier de Beaugrenelle, dans le 15e arrondissement de Paris, avant un déménagement dans les Yvelines des dernières équipes d’ArianeGroup. Le site des Mureaux accueille en effet depuis le 1er octobre le siège du groupe, engagé depuis septembre 2021 dans un important plan d’économies. Celui-ci va notamment se traduire cette année par 588 départs volontaires (dont 520 en France), soit environ 8 % de l’effectif global, en accord avec les partenaires sociaux, et avec un important volet de mobilité, au sein même du groupe ou vers les maisons mères, Airbus et Safran : aucun licenciement sec ne sera à déplorer, nous répète-t-on.

Pour André-Hubert Roussel, qui a commencé son allocution par un rapide bilan de l’année passée, 2021 a constitué « une année marathon », marquée notamment par le lancement le 25 décembre du télescope James Webb de la Nasa (cf. A&C n°2764). Le bilan financier n’est pas encore disponible, sachant que le chiffre d’affaires de 2020 s’élevait à 2,7 Md€. 

Conjoncture astrale favorable

L’année 2022 semble en tous cas s’ouvrir sur une « conjoncture astrale particulièrement favorable pour de nombreuses opportunités », entre la présidence française du Conseil de l’Union européenne, qui a démarré le 1er janvier et doit se dérouler jusqu’au 30 juin prochain, et la conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne, qui se tiendra en novembre à Paris, sur invitation de la France (qui co-présidait avec le Portugal la conférence intermédiaire de Matosinhos, en novembre dernier). Et André-Hubert Roussel de se réjouir de la bonne place que semble désormais occuper l’espace dans les priorités politiques, citant le projet de constellation européenne sur la connectivité sécurisée cher au commissaire européen Thierry Breton, le récent plaidoyer de Josef Aschbacher, le directeur de l'ESA, en faveur de vols habités 100 % européens, et les grandes priorités de la présidence française de l’EU. Celles-ci semblent se structurer autour de la future constellation communautaire, de l’avenir du programme d’observation de la Terre Copernicus et d’une stratégie spatiale européenne dans le domaine de la défense et de la sécurité. La France compte également assurer un suivi de la question de la gestion du trafic orbital et de l’alliance des lanceurs proposée par Thierry Breton. A cela s’ajoutent 1,2 Md€ d’investissement pour le spatial engagés dans le plan d’investissement France 2030, dévoilé le 12 octobre dernier par Emmanuel Macron, et le Space Summit de Toulouse le 16 février prochain, où se retrouveront 27 ministres européens de l’espace, en plus d’un Conseil de l’ESA. Sans oublier l’arrivée outre-Rhin d’un nouveau gouvernement fédéral, résolument proeuropéen, et d’une nouvelle coordinatrice des affaires aéronautiques et spatiales, Anna Christmann.

ArianeGroup se positionne ainsi au service de l’ambition européenne qui se dessine au cours d’une année « absolument décisive », au moment où le spatial connaît de profonds bouleversements. Lesquels, pour André-Hubert Roussel, sont à comparer avec la transformation connue par l’aéronautique après la Seconde Guerre mondiale, avec des usages qui se diversifient et se démocratisent, de plus en plus au service des citoyens, des télécommunications à la surveillance du climat, en passant par la défense et la sécurité. 

Trois sujets stratégiques

« Nous sommes à la croisée des chemins sur trois sujets stratégiques », considère André-Hubert Roussel, au sujet desquels l’Europe doit se poser la question de ses ambitions et de sa souveraineté : les constellations (pour lesquelles Ariane 6 apparaît comme le meilleur lanceur bientôt disponible, avec son étage supérieur réallumable), la question de la réutilisation (vers laquelle Ariane devrait évoluer) et les vols habités (parfaitement imaginables à court terme avec une évolution d’Ariane 6).

Mais retour aux objectifs de 2022 : « Il s’agit d’abord livrer les programmes dans le respect des coûts et des délais, ainsi que des impératifs de qualité », indique André-Hubert Roussel, qui rappelle que, concernant Ariane 5, cela signifie accompagner le lanceur au terme de sa carrière, débutée en juin 1996. Cinq missions restent en effet à mener d’ici 2023, avec toutes les positions vendues par Arianespace, qui a annoncé jusqu’à quatre opportunités de lancement en 2022. Quant au vol final, il sera entièrement dédié à la mission européenne Juice, à destination des Lunes glacées de Jupiter.

Concernant Ariane 6, la feuille de route est également claire : mener à bien la fin du développement du lanceur, en particulier avec un vol inaugural attendu au second semestre, et préparer son exploitation industrielle à grande échelle. Pour l’heure, les préparatifs sont en cours au Centre spatial guyanais pour les tests combinés en avril entre le nouveau pas de tir ELA 4 (Ensemble de Lancement Ariane n°4) et les étages du lanceur, arrivés le 17 janvier en Guyane à bord du navire Eastern Rock. Le mois prochain, c’est l’étage supérieur HFM (Hot Firing Model) qui doit être mis à feu pour la première fois, sur le site d’essais du DLR à Lampoldshausen, dans le Bade-Wurtemberg. Pour le premier vol, les modules sont actuellement en cours d’assemblage dans les usines des Mureaux et de
Brème, en Basse-Saxe. Mais, précise André-Hubert Roussel, « ce qui est sur le chemin critique, c’est bien de finir les essais combinés et les tests à feu de l’étage supérieur complet ».

Le plus gros carnet de commandes

A ce jour, Arianespace a déjà commercialisé onze lancements de son futur lourd (sur quatorze commandés à ArianeGroup). Six d’entre eux utiliseront sa version la plus puissante (A64, avec quatre propulseurs d’appoint) : cinq pour des lancements doubles et un pour une mission dédiée. Selon André-Hubert Roussel, Ariane 6 est actuellement le seul lanceur au monde à qui autant de commandes ont déjà été passées. L’enjeu est désormais de rester économiquement compétitif avec une cadence de sept missions par an (dont quatre garanties par les institutions européennes), au lieu de onze au départ. Parmi les sources d’économie réalisées figure la durée des campagnes de lancement en Guyane, réduites de six à deux semaines.

Le réutilisable en ligne de mire

Après les annonces faites le 6 décembre dernier par le ministre de l’Economie Bruno Le Maire, lors de sa visite sur le site de Vernon, dans l’Eure, la France affiche dorénavant avec le projet de mini-lanceur Maïa sa vocation de développer le premier lanceur réutilisable en Europe. Attendu pour 2026, Maïa n’est pas un micro-lanceur tel que ceux sur lesquels travaillent des sociétés comme Isar Aerospace ou Rocket Factory Ausburg en Allemagne. Utilisant les technologies clé que sont l’étage récupérable Themis et le moteur à bas coût Promotheus, actuellement à l’étude, le mini-lanceur doit constituer le premier élément d’une famille « cohérente » de lanceurs européens réutilisables, qui se veulent écoresponsables et modulaires, et qui jouer un rôle fédérateur en Europe. Le contraire serait « mortifère », selon l’industriel, qui déclare : « Dans le contexte de concurrence actuel, il faut nous organiser et la réponse ne peut être qu’européenne. L’Europe développe déjà des briques technologiques clés et doit accélérer. Des études ont déjà été menées sur la base d’une coopération entre plusieurs États membres de l’ESA. L’évolution de la filière lanceurs doit rassembler l’ensemble des acteurs européens à terme ». En attendant, le développement de Maïa est confié à la startup Maiaspace actuellement, en cours de création. ArianeGroup est aujourd’hui son seul actionnaire mais le capital de la nouvelle filiale sera ouvert d’ici quelques mois.

Les vertus du vol habité

Le président exécutif d’ArianeGroup s’est enfin montré très favorable à la perspective de voir l’Europe enfin s’engager dans le vol habité, forte des études réalisées par le passé pour le programme Hermes ou de l’expérience acquise avec les démonstrateurs de rentrée atmosphérique ARD et IXV, ou le ravitailleur automatique de la Station spatiale internationale ATV. Plusieurs concepts sont ainsi envisagés, de la simple capsule à l’étage supérieur de lanceur réutilisable et aménagé en véhicule de transport d’astronautes. Audelà du rêve suscité auprès du grand public, comme le montre le retentissement des missions de Thomas Pesquet en France ou de Matthias Maurer en Allemagne, André-Hubert Roussel voit dans ce grand projet plusieurs vertus : un autre moyen de faire
évoluer la flotte des lanceurs européens vers la réutilisation, le développement d’un espace propre et le retour d’une solidarité européenne. En tout état de cause, 2022 s’annonce « comme une année de vérité, où chaque acteur détient une clé de la réussite des ambitions européennes »...


Source : Air & Cosmos