Spatial : accord entre Paris et Berlin sur les lanceurs et Ariane 6



La France et l'Allemagne ont signé mercredi un document sur la politique spatiale et les lanceurs, qui « va donner à Ariane 6 un avenir institutionnel et commercial ». Les salariés d'ArianeGroup n'y croient plus. Selon nos informations, ArianeGroup estime avoir 2.500 emplois en trop.


C'est signé. Les ministres de l'Economie français et allemand, Bruno Le Maire et Peter Altmaier ont annoncé mercredi avoir conclu un nouvel accord spatial entre l'Allemagne et la France, accord qui « garantit le financement de la fusée Ariane 6, la coopération entre les deux pays sur les lanceurs, et aussi la préférence européenne sur les lancements de satellites ».


Bruno Le Maire a évoqué l'aboutissement de douze mois de travail approfondi entre les deux pays, mais n'a pas dévoilé les détails de cet accord conclu in extremis avant les élections allemandes.


Eviter une guerre des lanceurs lourds Le ministre français déclare vouloir garder la primeur de l'accord pour les autres partenaires européens d'Ariane 6 et notamment l'Italie. Tout juste a-t-il promis qu'il s'agissait bien de donner à la nouvelle fusée européenne Ariane 6, dont le vol inaugural est prévu en 2022, « un avenir et des perspectives commerciales avec le déploiement de nouvelles constellations » et d'éviter « une guerre des lanceurs lourds entre les nations européennes ».


De fait, cette guerre a déjà démarré et Bruno Le Maire acte qu'on ne peut revenir en arrière. Il tente de protéger le lanceur lourd Ariane face à la multiplication des projets de petits lanceurs qui émergent partout en Europe. Alors que le marché des lancements de satellites est un secteur de niche , jamais l'Europe n'avait financé autant de projets de fusées - et jamais d'une manière aussi anarchique.


Vega décroche 118 millions d'euros pour grossir


Pour preuve, l'Agence spatiale européenne (ESA) a annoncé quasiment au moment même de la conférence de presse de Bruno Le Maire et Peter Altmaier, la signature d'un contrat de 118 millions d'euros avec Avio, le constructeur italien de la fusée Vega, pour lui permettre de développer une version encore plus puissante et flexible de sa fusée, la version E !


Historiquement, l'Italie a construit un « petit lanceur », Vega, pour utiliser ses compétences dans les boosters à poudre et en promettant la complémentarité avec Ariane 5. A présent, Avio doit mettre en service Vega C, lanceur plus puissant, qui mord donc davantage que Vega sur la clientèle potentielle d'Ariane 6. Et demain, elle annonce Vega E, en compétition quasi frontale avec Ariane 6.


Et l'histoire pourrait rapidement se répéter. L'Allemagne de son côté, favorise trois projets de « petits » lanceurs, pour l'heure essentiellement financés par des fonds privés. 


Or ces « petits lanceurs », tel qu'Isar Aerospace ou RFA, sont déjà aussi gros que Vega…


La France va donc encore tenter de sauver le soldat Ariane, mais chez les salariés d'ArianeGroup règnent l'inquiétude.

Risques sur 2.500 emplois chez ArianeGroup


« Il faut arrêter de nous prendre pour des andouilles, les Allemands veulent casser le modèle européen des lanceurs et nous mettre en concurrence comme des fabricants de satellites, alors que les lancements sont un micromarché et que sans économie d'échelle, les prix vont s'envoler au lieu de baisser », s'inquiète le délégué syndical central CFE-CGC d'ArianeGroup, Philippe Géry, en espérant que l'accord annoncé permettra à chaque pays de trouver sa juste place.


Chez ArianeGroup, quelque 2.500 emplois sont en jeu dans les années à venir. Pour être compétitive et trouver des clients, la future fusée Ariane 6, bien plus automatisée qu'Ariane 5, doit réduire ses coûts de production. Filiale à 50 % d'Airbus et à 50 % de Safran, ArianeGroup est déjà passé de plus de 9.000 salariés en 2015 à quelque 7.500 postes aujourd'hui. Mais la direction a évoqué un plan stratégique pour aller à 5.000 postes en 2025. Sauf obtention de nouvelles aides européennes.


Des actionnaires sans vision.

Dans son dernier bulletin, la CFE-CGC laisse pointer son amertume et dénonce « une stratégie repliée sur elle-même, une addiction aux politiques publiques et à leurs financements, une insuffisance des investissements dans la recherche et la technologie. ».


Et le syndicat, majoritaire chez le constructeur de la fusée européenne, appuie là où cela fait mal. L'entreprise qui, depuis des décennies, abrite des ingénieurs spatiaux dévoués et passionnés, n'en peut plus de voir les initiatives se prendre chez d'autres. Et de rappeler le déni du réutilisable, puis la mise au placard d'un projet de microlanceur, tandis qu'à présent, son propre actionnaire Airbus investit dans le projet allemand de lanceur Isar Aerospace !


Pour la CFE-CGC, le 50/50 entre Airbus et Safran pousse à l'immobilisme. « Nos actionnaires n'ont pas de vision commune forte pour ArianeGroup et ce 50/50 favorise l'émergence de dirigeants contraints d'adopter des attitudes plus gestionnaires qu'entrepreneuriales. Dans ce contexte, il ne faut pas s'étonner si des salariés aux compétences pointues et au profil d'entrepreneur quittent la société », tranche le syndicat.


Sources : les Echos 21/07/21