Français, Allemands et Italiens se déchirent sur les termes de l’accord avec SpaceX qui doit permettre deux lancements de quatre satellites de la constellation Galileo.

En voulant bien faire, Thierry Breton a ouvert une boîte de Pandore. Et le commissaire européen chargé entre autres de l'espace ne maîtrise aujourd'hui plus les conséquences de cette décision...

De quoi parle-t-on ? N'ayant pas la possibilité de lancer impérativement en 2024 deux satellites Galileo avec le lanceur européen Ariane 6, Thierry Breton a dû se résoudre à demander à l'américain SpaceX de faire monter ces satellites à bord du lanceur Falcon 9, pour sécuriser le fonctionnement de la constellation européenne. Mais au préalable, l'Union européenne et les États-Unis doivent finaliser un accord de confidentialité et de sécurité qui permettra deux lancements confiés à SpaceX pour un total de quatre satellites extrêmement sécurisés, qui émettent des signaux ultra-sensibles pour les armées européennes. C'est donc un vrai pari pour l'Europe : la constellation Galileo (2 milliards d'utilisateurs) a pour principale concurrente l'américaine GPS, qui est aujourd'hui moins performante que sa rivale. Pas question, a d'ailleurs précisé Thierry Breton sur France Inter, que quelqu'un « approche ces satellites » lorsqu'ils seront sur la base de lancement américaine.

Qui dit UE dit 27 pays et 27 appréciations et intérêts différents. Et c'est le cas notamment de la France, de l'Allemagne et de l'Italie, pays ayant les compétences les plus solides en Europe dans le domaine des lanceurs. Car pour signer cet accord de sécurité, les Vingt-Sept doivent trouver un compromis sur les termes et les modalités. Et ce n'est absolument pas gagné pour ce dossier à l'agenda du sommet ministériel de Séville les 6 et 7 novembre.

D'autant que les retards répétés d'Ariane 6, dont le premier vol était prévu le 16 juillet 2020, ont irrité toute la filière spatiale européenne. Le premier vol du futur lanceur lourd est désormais attendu en avril ou mai 2024. « L'ESA a fait des choses formidable notamment l'envoi de sondes et beaucoup d'activités scientifiques mais on ne peut pas dire que l'ESA a totalement réussi sa mission en ce qui concerne les lanceurs », a critiqué Therry Breton jeudi sur France Inter. Mais, avant Séville, les ministres français, allemand et italien chargés de l'espace font étape lundi à Rome pour faire avancer ce dossier. « On aura à Rome une étape de négociations qui ne sera pas la conclusion de cette négociation », explique-t-on à Bercy. Si tout le monde est d'accord (quoique contraint et forcé) pour lancer les satellites Galileo sur Falcon 9, la France et l'Allemagne ont toutefois, selon des sources concordantes, de profondes divergences sur l'envergure de cet accord : Paris et l'industriel ArianeGroup, maître d'oeuvre d'Ariane 6, militent pour un accord avec SpaceX limité dans la durée et dans le nombre et le type de satellites. Berlin souhaite, quant à elle, un accord beaucoup plus ouvert dans le temps et dans le nombre de satellites, dont ceux de la constellation européenne Copernicus prévus sur le lanceur italien Vega-C (Avio) cloué au sol jusqu'au dernier trimestre 2024.

Une position allemande qui fracasse le concept de préférence européenne pourtant obtenu difficilement en 2018. Pour les Français, la solution SpaceX n'est qu'un « gapfiller » pour permettre le lancement des quatre satellites. « Cela ne sert à rien d'étendre cet accord dans la durée, mais on va trouver des compromis minimaux avec les 2 Allemands, explique-t-on à Paris. Cette divergence entre Paris et Berlin « révèle simplement la sensibilité des deux pays à des questions d'autonomie stratégique. C'est le vrai sujet, mais ce n'est pas un sujet lanceur ». Mais s'il n'y a pas d'accord, il n'y aura pas de lancement par SpaceX.

Ariane 7 développée par l'Allemagne ?

À Séville, l'Allemagne prépare déjà l'avenir. Selon des sources concordantes, le pays souhaite introduire une concurrence dans le domaine des lanceurs. Ce qui irrite fortement l'Italie, tandis que la France semble s'être fait une raison. Berlin va très certainement obtenir cette faveur en contrepartie de son feu vert sur les aides à l'exploitation d'Ariane 6 à partir de son 16e lancement (fin 2026 ou début 2027). Soit 350 millions d'euros par an. Très clairement, l'Allemagne veut mettre ses industriels (Isar Aerospace, OHB...) en position de développer et concevoir Ariane 7. Ce qui serait un séisme et un cauchemar en France. À ArianeGroup de se mobiliser pour rester le leader des lanceurs européens.


Source : La Tribune