L'Agence spatiale européenne se penche sur le sort d'Ariane 6



Le compromis franco-allemand, qui vise à préserver l'avenir d'Ariane 6 tout en ouvrant le marché à la concurrence sur les petits lanceurs, doit encore convaincre les partenaires de l'Agence spatiale européenne. En France, l'inquiétude pointe sur un accord qui déshabillerait en partie l'outil industriel au profit de l'Allemagne.

Par Anne Bauer

Publié le 26 juil. 2021 à 7:00


L'accord franco-allemand annoncé la semaine dernière sur la politique spatiale européenne par les ministres de l'Economie Bruno Le Maire et Peter Altmaier, doit encore obtenir le feu vert de l'Italie, promoteur de la fusée Vega, et surtout de l'Agence spatiale européenne (ESA). L'agence intergouvernementale devrait se prononcer cette semaine, mais les compromis envisagés sont sans doute encore loin de faire l'unanimité.

Pour les salariés d'ArianeGroup, confrontés à un nouveau plan d'économies de 100 millions d'euros et à l'ouverture de négociations sur des réductions d'effectifs en septembre prochain, il est encore trop tôt pour se réjouir. La bonne nouvelle est que l'accord propose de donner un coup de main vital à la fusée Ariane 6 pendant six ans. La remplaçante d'Ariane 5 a été mise sur les rails en 2014 sur la base d'une perspective commerciale d'au moins dix à douze tirs par an. Un objectif inatteignable aujourd'hui au vu des évolutions du marché, avec une concurrence de plus en plus agressive et bon marché, et de moins en moins de grands satellites à mettre en orbite.

Financement supplémentaire annuel de 140 millions

Le compromis franco-allemand porte donc sur un financement supplémentaire d'Ariane 6 de l'ordre de 140 millions d'euros par an, de façon à permettre à la fusée d'équilibrer son bilan avec seulement sept tirs par an en moyenne, soit en moyenne quatre tirs institutionnels et trois commerciaux.

L'accord prend donc acte du changement complet de paradigme entre le moment où le projet Ariane 6 a été lancé, à une époque où SpaceX ne pesait encore pas grand-chose sur le marché international, et aujourd'hui, où les projets de nouvelles fusées se multiplient comme des petits pains. De fait, après une année 2020 tout juste bénéficiaire, la situation financière d'ArianeGroup (environ 2,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires) se dégrade.

Selon le compromis noué pour sauver le lanceur lourd européen, Berlin et Paris s'accordent aussi sur la nécessité d'appliquer la préférence européenne, en envoyant les satellites institutionnels européens sur des lanceurs européens. Enfin, conformément au souhait allemand de développer ses propres fusées, le compromis acte la possibilité pour toute société privée de développer des petits lanceurs sans restriction et sur un marché ouvert à la concurrence. En contrepartie, l'Allemagne s'engage à ne pas développer de lanceurs lourds concurrents d'Ariane 6. « L'accord est bon car il donne de la visibilité à Ariane 6 sur les financements et le volume d'activité », explique-t-on du côté du gouvernement français.

L'Allemagne veut le moteur à propulsion liquide

Toutefois, en échange, l'Allemagne réclame le rapatriement de l'usine française de Vernon au site allemand de Lampoldshausen de la production du moteur Vinci, le moteur à propulsion liquide réallumable. Une exigence qui risque de décourager les équipes françaises d'Ariane 6, car, depuis le début des programmes Ariane, l'usine de Vernon dans l'Eure a toujours été le berceau des moteurs de fusées, notamment à propulsion liquide, un savoir-faire unique. Selon un syndicaliste, ce transfert équivaudrait à 40.000 heures de travail ou l'équivalent de trente emplois à temps plein, et mettrait rapidement en péril le site de Vernon, en l'absence d'autres activités compensatoires.

Membre de la commission de la Défense à l'Assemblée nationale, le député Bastien Lachaud (Seine-Saint-Denis, LFI) dénonce pour sa part un accord qui, selon lui, « envoie le secteur spatial français au tapis. Si l'Etat allemand a cédé sur les lanceurs lourds après des mois d'opposition, c'est en réalité la France qui sort affaiblie… avec un accord ruineux qui sacrifie le tissu industriel français au profit de l'Allemagne par de nombreux transferts industriels (moteurs Vinci, nouvel étage propulsif Astris) ».

Pour rappel, la France participe pour 52 % à Ariane 6, l'Allemagne pour 22 %, l'Italie pour 6 %, l'Espagne pour 5 % ; la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse pour 3 % chacun environ, la Suède pour 2 %, selon la clé de répartition imposée par l'ESA, en fonction de la participation financière de chacun au programme.